• Ras le sein ! Sommes-nous des cobayes?

    Chapitre 1. Matraquage et propagande !

     

    Ras le sein ! Sommes-nous des cobayes?

     

     Chaque année, le mois d’octobre est dédié aux femmes – plus spécialement aux femmes touchées par le cancer du sein, ou susceptibles de l’être. Grandes marques, sponsors, associations de tous bords virent au rose bonbon. Rien n’y échappe, de la bouteille d’eau à la lingerie en passant par le paquet de thé et les burgers. Rose jusqu’à l’écœurement. Rose jusqu’à l’overdose. Une vaste campagne de pub et de recrutement est lancée. Le slogan est simple et hyper racoleur : nous sommes toutes concernées ; luttons toutes ensemble en arborant fièrement notre joli ruban de cette couleur « féminine » par excellence !

    En entendant une responsable médicale vanter face caméra les mérites de « la chasse aux cancéreuses », l’on ne peut s’empêcher de les sentir quelque peu stigmatisées. Pourquoi pas la chasse aux sorcières ? Toutes au bûcher ! Octobre est aussi le mois d’Halloween, ça tombe bien…

    Nous voilà marquées au fer rouge, devrais-je plutôt dire au fer rose ? Stigmate apposé sur des femmes aux prises avec la souffrance, et qui leur rappelle un peu trop la fichue maladie qu’elles préféreraient oublier l’espace d’un instant. Car pour la plupart des cancéreuses, cet octobre rose est loin d’être une fête, même si le moindre détail est pensé pour leur faire croire qu’elles sont le centre du monde, l’objet de toutes les attentions. Ainsi roule le charity business, avec ses dons à finalités opaques et ses ventes de tout et n’importe quoi, pourvu que ce soit enrubanné de rose.

    Au sein – c’est le cas de le dire – de cette bataille médiatique hyper lucrative, le groupe prime sur l’individu. « On lutte pour la cause ! » m’a déclaré le bénévole d’association auquel j’avais lancé mon premier SOS. Une Grande Cause qui nous dépasse et qui me hérisse de par son caractère impersonnel, finalement dépourvu d’humanité. Moi, je refuse que l’on m’assimile à une cause, si belle soit-elle. Je prétends être une personne à part entière, qu’on se le dise, et je n’entrerai pas dans votre jeu !… N’empêche, je ne suis qu’une goutte rebelle dans la marée rose qui déferle, implacable.

    Au nom de La Cause, au nom de la rose, on exhorte les femmes (enfin, celles qui peuvent tenir debout) à participer à une course en compagnie de leurs familles (si elles en ont) et de leurs amis (si elles en ont)… Celles qui sont isolées n’ont qu’à courir toutes seules ! C’est un devoir quasi religieux, la grand-messe à ne manquer sous aucun prétexte, à moins de vouloir se risquer à encourir un autre genre de stigmatisation.

     

    Et le grand déballage commence. Actrices, chanteuses déjà passées par ce drame sont encouragées à s’investir en exposant dans les magazines leurs seins agressés, mutilés. C’est fait pour choquer, bien entendu, pour interpeller, marquer les esprits ; bref, pour faire le buzz.

    Aucune gaminerie ne nous est épargnée, y compris les chaînes à partager et le concours de grimaces. Sans pudeur, sans complexes, n’hésitons pas à dévoiler sur Facebook ou Instagram la couleur de notre soutien-gorge, de notre string. Amusons-nous comme de petites folles à ce jeu de devinettes : « Je suis cerise. Je suis prune… Et toi ? » Il s’agit de battre un record digne du Guinness Book, dans le but puéril d’épater les hommes qui peinent à déchiffrer ces énigmes.

    Avant d’être « touchée », je trouvais déjà tout cela profondément débile. N’en déplaise à une copine (non touchée) qui voyait en cette démarche un moyen d’exorciser le mal. Elle n’en revenait pas de ma mauvaise volonté quand je lui disais que ce cirque ne fait pas avancer les choses, et en vérité, n’aide personne. Les cancéreuses semblent plutôt servir de prétexte à de juteuses opérations, médiatisées à outrance, qui profitent peu à la recherche tandis que les sponsors, eux, se frottent les mains ! L’on ne peut s’empêcher de penser – et pas seulement à cause de la couleur –, à ce que les Anglo-Saxons nomment pinkwashing : autre genre d’exploitation éhontée d’une « différence » que l’on feint de promouvoir avec sympathie et solidarité, en vérité dans un but politique ou commercial. Comme si le meilleur moyen de ne pas stigmatiser les gens, ce n’était pas plutôt de les traiter comme tout le monde.

     

    Octobre, mois des super promos sur les mammos. Le marketing de la peur se met en branle, puissant ouragan qui annihile toute velléité de résistance. « Si tu ne te fais pas dépister, tu vas mourir ! Ce sera trop tard ! » Ce discours moralisateur, qu’on jurerait teinté de sadisme, agit comme un électrochoc et laisse peu de place à la prise de recul. Il culpabilise, infantilise, terrifie. À l’ère du diktat de l’émotion, de la scénarisation de la souffrance, personne ne peut décemment rester de marbre face à cette noble machine qui s’emballe, suscitant un phénomène d’identifications en chaîne.

    Le cancer du sein s’attaque au symbole de la beauté, de la féminité, de la sexualité, de la maternité. C’est le seul qui passionne le public tous sexes confondus, le seul que l’on peut évoquer de façon presque poétique. On imagine mal le cancer de la prostate provoquant autant d’émoi : peu flatteur pour l’image de la virilité, ce dépistage-là n’est pas vendeur. De même, songerait-on à affubler les gens d’un ruban marron pour prôner la prévention du cancer colorectal ? Pas très glamour, tout cela.

    Et puis, le cancer du sein frappe notre entourage, nos proches : qui n’a pas ou n’a pas eu une épouse, une mère, une sœur, une belle-sœur, une amie…, en cours de traitement, en rémission, voire décédée ?

    Non, décidément, le cancer du sein est le plus « vendeur » de tous.

    Que la fête continue !…

     


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